La Russie peut-elle financer l’ouverture d’un nouveau front militaire ?

Image d'illustration. Carte de stratégie militaire avec opérations en russieADN
Alors que la Russie poursuit son engagement militaire en Ukraine, la question de sa capacité à soutenir un éventuel nouveau front se pose, à l’heure où son économie est mise à rude épreuve par les sanctions et le coût du conflit actuel.
Tl;dr
- La Russie subit une grave érosion économique.
- Moscou ne peut pas ouvrir un nouveau front.
- L’incertitude politique persiste malgré les difficultés financières.
Des tensions ravivées aux frontières européennes
L’activité militaire observée ces dernières semaines inquiète : entre les MiG-31 interceptés au-dessus de l’Estonie, les incursions de drones russes sur le territoire polonais ou le survol de zones stratégiques telles que l’aéroport de Copenhague et une base militaire dans la Marne, la liste des incidents s’allonge.
De quoi alimenter les craintes, relayées par Volodymyr Zelensky, d’un risque de second front ouvert par la Russie en Europe avant même la fin de la guerre en Ukraine. Mais cette hypothèse résiste-t-elle à l’examen du réel ?
L’économie russe, moteur grippé d’une stratégie guerrière
Le climat économique russe contraste nettement avec les gesticulations militaires. Depuis trois ans, le pays encaisse sanctions, boycotts et mobilisation industrielle. La croissance, florissante encore récemment – 4 % en 2023 et 2024 grâce à l’effort de guerre et une redistribution sociale appuyée –, a chuté à 1,4 % au premier semestre 2025. Un seuil historiquement bas, comme le rappelle Maria-Eugenia Sanin, spécialiste de l’économie russe à Paris-Saclay : « Au bout d’un moment, le peuple ne peut pas manger des obus ». Les conséquences se font sentir pour la population : pouvoir d’achat en berne et consommation réduite.
Au-delà des chiffres, plusieurs freins apparaissent :
- Pénurie de main-d’œuvre (exil massif de jeunes, mobilisation militaire accrue).
- Appareil productif saturé par l’économie de guerre.
- Baisse continue des recettes pétrolières et gazières.
À cela s’ajoute un déficit budgétaire déjà atteint dès mi-année et une hausse de TVA destinée à financer l’armée alors que l’inflation donnait enfin quelques signes d’apaisement.
Moscou peut-elle se permettre un nouveau front ?
Les spécialistes convergent : transformer durablement une économie pour soutenir un effort militaire aussi massif ne va pas sans risques ni limites. Selon Bernard Keppenne, chef économiste à CBC Banque, la situation est intenable sur le long terme pour Moscou. Quant à l’adaptation russe face aux sanctions européennes sur le gaz et le pétrole – désormais redirigés massivement vers la Chine et l’Inde –, elle ne compense pas la dégringolade persistante des prix mondiaux.
Maria-Eugenia Sanin tranche : « La Russie ne peut pas se permettre un nouveau front, ni maintenant ni plus tard ». Les marges financières fondent rapidement.
L’inconnue politique demeure
Mais tout n’est jamais totalement prévisible. Pour Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux, une part d’incertitude subsiste tant que la vision du pouvoir russe restera campée sur une opposition viscérale à l’OTAN et à l’Union européenne.
Même son de cloche chez Julien Vercueil, professeur spécialisé : « Face aux difficultés économiques, le réflexe autoritaire pourrait être d’accentuer encore les sacrifices demandés à la population ». Finalement, les logiques politiques pourraient l’emporter sur celles dictées par l’économie… au prix d’une instabilité croissante pour tout le continent européen.
